A la mémoire de Mathieu Ouedraogo, ancien étudiant à l’Université d’Amiens devenu professeur à l’Université de Ouagadougou et Ministre de l’Education de base du Burkina Faso.
Mathieu fut l’un des inspirateurs, l’un des piliers à l’origine de notre association et ces lignes veulent lui rendre hommage tout en essayant de témoigner des extraordinaires qualités humaines de l’homme.
Les souvenirs retracés ici sont issus de la transmission par les fondateurs de l’association, et aussi pour beaucoup, de savoureux échanges avec le grand conteur que fut Mathieu.
Mathieu OUEDRAOGO, l’enfant prodigue du village de Mankoula, revenu plein d’usage et de raison de ses études à Amiens dans les années 70.
Mathieu naît dans une famille de paysans modestes du village de Mankoula en 1949 (35km au nord ouest de la capitale, Ouagadougou, d’une colonie qui s’appelait encore la Haute Volta). Outre son prénom chrétien, son père lui donne également le prénom de Rakissouiligri, « celui qui est ouvert à la connaissance » en mooré (la langue des Mossi, principale ethnie du Burkina Faso)… une véritable destinée !
Il fait ainsi partie des 3 enfants que chaque village doit envoyer à l’école, et entre en 1956 au CP1 (le français n’étant pas la langue maternelle des enfants, le cursus scolaire comprend un CP1 et un CP2). Il fréquente l’école de Temnaoré, village voisin de Mankoula puisque ce dernier n’a pas encore d’école : une heure en courant tous les matins se remémore-t-il !
Brûlons les étapes, il est un élève brillant et obtient une bourse pour partir étudier en France. A cette époque, les étudiants étrangers qui poursuivent des études scientifiques vont à Montpellier ; ceux qui se tournent vers les matières littéraires sont condamnés au « grand nord » : Amiens. Notre Mathieu, étudiant en anglais, arrive ainsi en Picardie en 1972 et y restera jusqu’en 1977, enchainant brillamment, licence puis maîtrise à Paris III et doctorat. Enseignant en anglais de retour dans son pays, il est professeur à l’Université de Ouagadougou après avoir œuvré de 2002 à 2005 comme Ministre de l’éducation de base.
Quelques stupéfactions du jeune burkinabé alors qu’il prend pied sur ce sol français, si froid et si différent de sa Haute Volta natale, comme on l’appelait alors.
En descendant de l’avion sur la piste de l’aéroport du Bourget (Roissy-Charles-de-Gaulle n’existe pas encore), il aperçoit dans un bâtiment qui jouxte l’aérogare une voiture au 6ème étage ; « mais qui l’a montée là et pourquoi ? » s’interroge Mathieu ; il réalisera plus tard qu’il s’agit évidemment d’un parking silo.
De passage par la gare du nord à Paris pour rejoindre Amiens, il croise des hommes qui attendent, habillés de vestes et de pardessus, mieux vêtus que les paysans burkinabés. Ce sont des clochards. « Incroyable ! » se dit Mathieu, il existe des mendiants en France !
Troisième découverte sur un chantier proche : des ouvriers sont au travail et manient pelles et pioches… et ils sont blancs. Du jamais vu au pays!
La mascotte « british » du club du 3ème âge d’Amiens
L’adaptation sera pourtant rapide. Opportunité : la ville d’Amiens cherche un accompagnateur pour le club du 3ème âge qui part trois semaines visiter la ville jumelée de Darlington. Mathieu se présente, sa candidature est retenue. Et ce groupe de 65 – 98 ans, un peu méfiant vis-à-vis des étrangers, il faut bien le dire, va l’adopter : à peine rentré, le club insistera pour prendre des cours d’anglais et maintenir le lien avec ce conteur burkinabé si chaleureux et sympathique.
Sauvons Mankoula !
1973, grande famine au Sahel : Danielle Danten, Louisette Deberly, enseignantes au collège Sagebien d’Amiens ne peuvent rester indifférentes et y consacrent leurs cours d’histoire géographie. Mais comment mieux faire saisir aux jeunes picards toute la détresse des populations qu’en invitant un autochtone ? Mathieu et ses camarades interviennent dans les classes.
Mathieu va aussi témoigner et lancer un vibrant appel sur la chaine de télévision France 3 Picardie pour sauver son village de Mankoula.
S’en suivront une intervention alimentaire d’urgence pour le village, puis au fil des ans, en fonction des besoins exprimés, un soutien multiforme au développement du village par Œuvres du Sahel – Horizon Burkina , notamment : forage, création de l’école plus tard électrifiée en énergie solaire, construction du dispensaire de Siglé, distribution de moustiquaires anti-paludisme et aide au reboisement toujours à Siglé et aussi à Mankoula, à l’école de Pallegré ; encore à Mankoula,, agrandissement de l’école de Nabitenga, implantation d’une plate-forme multifonctionnelle avec moulin à mil et réalisation du très ambitieux projet de bouli.
Il y a encore seulement deux ans, cinq membres de l’association se retrouvaient avec Mathieu et les autorités et habitants du village sous l’arbre à palabre de Mankoula avant de faire le tour des réalisations du village et cheminer sur la digue du bouli…
Ainsi sont nés une amitié et un engagement pour le développement qui ont couvert près d’un demi-siècle. Concluons avec cette harangue, ces mots chers à Mathieu : « fighting, we shall overcome ».
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